La création de La Solitude du coureur de fond se fait dans la durée... Cette page retrace l'évolution du processus de création.
INTENTIONS DE MISE EN SCENE - bis
Le travail sur le lien entre le jeu et la musique s'est épuré en même temps qu'il s'est densifié. Au fil du temps et des représentations nous n'avons pas cessé de fouiller les derniers recoins de cette étroite complicité. Nous avons aussi reconsidéré la place de la vidéo. Elle intervient plus tardivement et sa première incursion sur scène est comme une apparition fugitive (dans un contraste de noir et blanc pouvant évoquer Meliès) Pendant la course, les images sont également moins présentes, affleurant sur le mur de fond noir, comme des suggestions des appels à l'imaginaire du spectateur et laissant de grandes plages libres entièrement redonnées à l'espace théâtral, lui conférant une singulière présence.
La redistribution scénographique a aussi influé sur les choix d'éclairage qui alternent entre des clairs-obscurs et des trouées lumineuses, comme suivant le parcours de Colin de l'ombre à la lumière, des sous-bois aux chemins en pleins champs, de sa résolution construite à l'ombre de la maison de correction à cette journée de soleil radieux où il va faire comprendre qui il est !
Quant à l'action de courir sur scène, avant d'être éventuellement une performance, il s'agit en premier lieu d'un geste théâtral acquis pour plonger le spectateur au cœur de la course, au cœur de la résolution que prend Colin Smith de perdre. Ce geste est conjugué au second souffle, celui du saxophone qui s'enroule au rythme de la foulée du coureur.
C'est notre vision et notre lecture affinées de l’œuvre d'Alan Sillitoe, du texte de la nouvelle et non de l'adaptation cinématographique de Tony Richardson (également co-signée par Sillitoe) qui marqua la cinéphilie des années soixante. La puissance du texte originel se déployant naturellement sur l'espace de la scène.
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NTENTIONS DE MISE EN SCENE
MISE EN SCENE
Tout commence dans la cellule de la maison de correction où Colin court « dans sa tête » avant que la projection vidéo n'élargisse le champ, pousse les murs et intègre le défilement des chemins sur lesquels le coureur s'entraine. A partir de là, chaque mouvement de la pensée du jeune héros fera naître les images dans lesquelles il se projette : la maison d'enfance, le quartier de la boulangerie que Mike et lui ont cambriolée, la chambre du père, la confrontation avec le policier qui finira par l'arrêter. Enfin, le parcours de la course finale ouvre sur l'ensemble du plateau, sol et rideau de fond, annonçant la complète réalisation « d'un acte insensé et magnifique »...
Plus précisément, les images en mouvement accompagnent la foulée du coureur (l'acteur court pendant les trois-quart de la pièce), déroule son décor dans la continuité sol/rideau de fond, plongeant le spectateur au coeur de la course.
Les images fixes organisent la scénographie en espaces très distincts mais qui peuvent se côtoyer. Par exemple quand, dans sa chambre, Colin compte le butin raflé lors du vol, la cellule apparait en filigrane à un autre endroit de la scène où le musicien joue, en contrepoint ironique, un air très léger à la clarinette. C'est cette mise en phase entre images, texte, jeu et musique qui constitue tout l'enjeu de la mise en scène. Ces domaines s'expriment pour eux-même mais sont aussi mis en combinaison, en opposition, opèrent des transitions.
La lumière joue un rôle primordial et délicat. Elle est parfois seule à sculpter l'image et quand elle rejoint la vidéo en noir et blanc, elle vient se poser en soutien, apportant relief et texture.
L'ensemble développe des atmosphères proches de l'esthétique des films noirs.
L’enjeu est de livrer ce très beau texte de la manière la plus directe, donner à voir l’immédiat qui se joue dans la caboche d’un jeune hors la loi à la recherche de sa vérité. Pour cela, nous convions les spectateurs, au même titre que les flics, les ducs, les ladies sur la scène où se joue la vie de Colin.
Patrick MONS
MUSIQUE
Les pas du coureur martèlent les planches, établissant ainsi un tapis sonore et percussif qui deviendra le canevas rythmique sur lequel viendra s'asseoir le discours du saxophone. Le coureur devient le batteur et plusieurs codes inhérents à un combo de Jazz on été mis en place pour enrichir la foulée: parfois le coureur double le tempo du saxophoniste et vice-versa; à d'autres moments les deux jouent au fond du temps ou bien l'un s'amuse à pousser le tempo de l'autre; des appels rythmiques déclenchent une accélération, un nouveau "groove" etc.
Dans l'orchestration du texte, une technique comparable à celle de l'unisson à été aussi employée à des moments clés. Des points convenus ont été établis où le texte est rigoureusement émis sur le calque d'un thème d'Art Pepper, comme par exemple pendant l'exécution d' "Angel wings". Comme dans un concert Jazz, ce genre de mise en place devient surtout prétexte à l'envol du soliste, qu'il soit musicien ou comédien. Mais le véritable noyau du travail musical effectué pour les besoins de cette création se trouve dans le contrepoint.
Tout au long de la pièce, voix et sax se cherchent, se bousculent, s'accordent et tissent en définitive un discours bipolaire qui dessine clairement la trame de la tension narrative.
A titre d'anecdote, de troublantes coïncidences entre le titre choisi et le sens du texte ont été remarquées après coup. Par exemple, le passage où la protagoniste s'apprête à participer à
la course qu'il compte perdre volontairement. Le thème avec lequel le saxophoniste interpelle le personnage à ce moment précis s'appelle "How can you lose?" (Comment peux tu perdre?).
En résumé le défi qui est relevé dans cette version de "La solitude du coureur de fond", serait d'insuffler dans la pièce la fraîcheur inhérente à une improvisation musicale, en même temps qu'est rendue palpable la syntaxe profonde d'un solo de Jazz.
Esaïe CID, saxophoniste