LE POINT DE VUE DE L’ECTOPLASME (12)
Colin Smith court, l’ectoplasme le suit. Ceci ne pourrait se concevoir autrement. Voyez dans ce phénomène l’implacable empreinte des rouages d’une mécanique céleste quelconque.
Ainsi l’ectoplasme ayant vu Colin Smith mettre la barre vers les terres normandes s’est naturellement dit : « Chic, voilà une occasion d’étudier de près le comportement du ptérodactyle rouannais ». Chose qui s’est avérée inexacte étant donné que le binôme s’est arrêté bien avant Rouen, plus précisément à Val de Reuil, là où paraît-il, la tortue jurassique normande paissait jadis sous sa lourde carapace préhistorique. Carapace dont le plastron, soit dit en passant, était constitué par l’assemblage d’un ensemble d’écailles qui avaient une silhouette très proche de celle du calisson d’ Aix.
Mais à Val de Reuil la tortue est une question complètement hors sujet, surtout si l’on songe au taux d’ imprégnation athlétique de ses indigènes. Ça suinte de partout, et notamment aux abords du stade Jesse Owens où même les érables chaussent des baskets. La nuit on peut entendre leur foulée si caractéristique, reconnaissable entre toutes au suave chuchotement du feuillage que le vent peigne, rythmé à chaque gambade par le tendre craquement du bois vivant. Ce n’est pas la forêt qui marche de Macbeth, c’est la forêt qui court !
L’espace/temps ectoplasmique, vous le voyez, a réussi à trouver un chez soi à Val de Reuil, pour loger toute la cohorte d’arcanes et archétypes qui en constituent l’âme. L’illustre assemblée errante d’esprits est venue à la rencontre de deux hôtes d’exception : le Don Quichotte normand et son écuyer Sancho Panza. Les épreuves du siècle ont donné une allure et des manières aux deux héros qui diffèrent de leur constitution cervantesque originale, sans rien leur enlever de leur bravoure ni de leur panache.
Le nouveau Don Quichotte n’est plus tout maigre et frêle : sa stature et sa constitution font penser à un commandeur des templiers dont l’azur du regard aurait forgé sa fermeté dans mille batailles. Sancho, pour sa part, a gardé toute sa verve intarissable, mais a remplacé son légendaire bide par la craquelure des joues creusés du coureur. La sélection naturelle serait passée par là ? La morosité contemporaine exigerait pour la combattre des telles mutations chez ses ennemis ? Car ils le sont, ces deux-là : de farouches combattants de cette morosité le Quichotte/Liaudet et le Sancho/Garcia –vous les aurez reconnus- et des plus redoutables !
La poésie, messieurs, a besoin pour exister de guerriers de cette trempe. Des guerriers de la logistique, qui dans la boue des tranchées déploient la force d’un titan tout juste pour que la corolle d’une fleur puisse encore déployer ses couleurs. Ils l’ont fait, et la poésie exhale pour eux à présent les soupirs d’une pucelle qui aurait été arrachée, par l’adresse de leur épée, des griffes du dragon. A eux l’honneur et toute notre reconnaissance.
L’ECTOPLASME
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LE POINT DE VUE DE L’ECTOPLASME (11)
LES TRESORS DU 9.3
Les chefs d’œuvre de Molière auraient donc été écrits en réalité par Shakespeare. Telle une fabuleuse chute enchainée de dominos l’hypothèse est alléchante car Shakespeare, lui-même n'ayant pas écrit ces propres pièces, il aurait eu tout le loisir de songer au Misanthrope ou à l’Avare avant la naissance même du petit Poquelin. C'est drôle, quand on se prend à contempler le paysage de l’Histoire, l’assemblage des décennies se schématise d’une façon quasi aussi grossière que les méandres d’une partie de domino. Cette dernière pensée s’est manifestée en moi alors que j’étais en pleine communion avec l’un des innombrables tableaux que Cézanne nous a légué en témoignage de sa fascination concernant la Montagne Sainte Victoire. En 1885 son génie rendait hommage aux galbes du panorama Acquae-Sextien en réalisant une peinture où les rondeurs suggèrent presque un assemblage de cubes. Certains y voient même la patte de Corneille, mais passons, cela deviendrait trop alambiqué.
Au cours de ma rêverie errante devant Cézanne, la pensée de l’Histoire m’est apparue sous la forme d’un diptyque où, d’un côté, les heures factuelles s’enchaînent trempées par la sueur inhérente au fait de vivre, et de l’autre, le recul des siècles engloutit les petites besognes des besogneux, tel un zoom qui s’éloigne. Je me plais à imaginer Cézanne, aux aguets du sublime dans son poste face à la montagne, apprivoisant une vue mensurable au kilomètre, et je ne peux m’empêcher de concevoir que possiblement une perdrix picorait sous la chaleur aixoise au pied d’un arbre dont la traduction picturale sur la toile en question se résumerait à une vague tâche verte d’à peine un demi millimètre... génialissime, certes ! Ainsi, si je travestissais Cézanne en historien spécialiste du XVIII siècle, tentant d’assembler les différents courants qui ont constitué la pensée révolutionnaire, ma petite et charmante perdrix deviendrait alors un tanneur parisien qui un jour aurait crié «Gare au pot ! », tout en poussant l’adolescent Robespierre pour éviter qu’un pot bien rempli de terre où poussaient de ternes glaïeuls n’heurte, en tombant d’un troisième étage, le crâne de ce futur et ardent défenseur de la devise qui aujourd’hui trône immanquablement sur les portes de nos mairies.
Mais avec toutes ces considérations parfaitement inutiles, j’ai failli oublier l’intention première qui m’avait poussé à vous adresser ce billet, et que voici : je vous informe que les 6 et 7 février nous allons jouer « La solitude du coureur de fond », dans la salle « Mains d’œuvres » sise dans la ville Saint Ouen. Pour vous y rendre en transport public le plus facile est de descendre à l’arrêt « Garibaldi » sur la ligne 13 du métro. Si vous habitez loin de Saint Ouen, mais que le réseau du RER C vous est familier, et que vous êtes amoureux du théâtre alors descendez à la station « Saint Ouen » du RER C.
C'est un menu sacrifice de descendre dans une gare RER de la proche banlieue parisienne, me direz-vous. Les amoureux du théâtre sont bien plus gaillards que ça, pourriez-vous rajouter. Et j’insiste : il est bien plus pratique d’emprunter le métro ou le bus pour se rendre à « Mains d’œuvres ». Cependant, cette gare RER de Saint Ouen mérite le détour pour une raison ectoplasmique toute particulière : figurez-vous que la parcelle sur laquelle elle s’érige fut jadis le témoin des émois champêtres d’un enfant voué à un destin prodigieux. A l’époque il n’était pas encore connu sous le nom de Molière, il n’était qu’un petit garnement parisien nommé Jean Baptiste Poquelin, qui séjournait sporadiquement dans la maison que son grand père maternel, Louis Cressé, avait acquis à Saint Ouen. Lequel grand père, tenez-vous bien, initia son futur illustre petit fils au théâtre (!!) en l'emmenant maintes fois à l'Hotel de Bourgogne et autres lieux fort recommandables.
Concernant la maison, le fait est attesté et consigné dans le document que voici : JURGENS M. et MAXFIELD MILLER. E. (1963). Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe, S.E.V.P.E.N, 859 pages. Nous devons la préface à André Chamson de l’Académie française, et Directeur général des Archives de France. Dans ce texte nous lisons, page 51 : « Le 12 mai 1629, Louis Cressé, pour la somme de 2075 livres, achetait du maître chandelier Jacques Enfry, une propriété sise à Saint Ouen, dans la grand’rue menant à Saint Cloud. » Selon d’autres documents recensés par ce recueil, Louis Cressé aurait acquis par la suite d’autres biens fonciers et immobiliers à Saint Ouen. Cette maison longeant la « grand’ rue menant à Saint Cloud » semble avoir été un foyer particulièrement fédérateur pour la famille de notre formidable dramaturge. Dans ce même opuscule, page 53, nous lisons : « La maison était vraiment une demeure de famille où les Cressé accueillaient enfants et petits-enfants : on comptait sept lits dans la maison et il y avait trois petites chaises d'enfants à la cuisine pour les plus jeunes de la famille. Molière dut, aux alentours de sa dixième année, prendre bien souvent le chemin de Saint-Ouen avec ses parents ou ses grands-parents. On sait qu'une pièce de la maison était réservée à la famille Poquelin: c'était la chambre au miroir (…)”
Porté par ma fierté audonienne (habitant de Saint Ouen) et mon profond amour pour l’œuvre Molière, je pris la décision de m’improviser chercheur dans l’objectif de localiser l’actuel emplacement où la demeure se trouvait. Une simple visite au très accueillant centre des Archives de Saint Ouen me permit de prendre connaissance du fonds d’anciennes cartes de la ville. Par la suite j’eus tout le loisir de consulter en ligne ce trésor afin d’effectuer mes recherches d’historien dilettante.
La seule donnée tangible que je possédais était cette vague « grand’ rue menant à Saint Cloud ». Je scrutais donc toutes les cartes et cadastres dont je disposais à la recherche d’une « grande rue » ou bien d’un toponyme approchant du terme « route de Saint Cloud ». Or, il se trouve que dans un cadastre de 1811 un « chemin de Saint Cloud » apparaît, zigzaguant aux bords de l’actuelle avenue Victor Hugo, et menant jusqu’à la limite de Clichy.
A l’époque l’avenue Victor Hugo était connue en tant que « Route du bois de Boulogne ».
Il ne serait donc pas improbable que le chemin de Saint Cloud ait gardé ce nom depuis 1629, l’époque de Cressé, jusqu’à 1811. Ce chemin pourrait ainsi être celui qui menait à la dite maison. N'ayant point trouvé d’autres pistes, j'entérinais l’hypothèse selon laquelle la maison de Louis Cressé se trouvait quelque part sur ce chemin. Ce chemin apparaît encore sous cette dénomination sur des cartes élaborées en 1843 et 1870.
En 1870, le chemin de Saint Cloud existe encore. Il est coupé par une voie ferrée qui faisait la liaison avec Paris.
En 1880 le chemin disparaît, mais la voie ferrée qui le coupait existait encore (Raccordement des Docks)
Le chemin de Saint Cloud suivait donc une trace à peu près équivalente à celle qui est dessinée par les rues Labinal et Nadia Guendouz. La station RER de Saint Ouen se trouve dans la prolongation ectoplasmique de ces deux rues, et elle aurait présenté un aspect tout à fait pratique pour les déplacements de la famille Poquelin si le réseau RER avait existé au XVII siècle.
Reste à savoir si la « grand’ rue menant à Saint Cloud » mentionnée dans le document publié par les Archives de France correspond au « chemin de Saint Cloud » dont nous avons retracé l’histoire. Mais tout cela est affaire d’historien.
Une étude comparative entre les cartes disponibles aux archives (Cadastre 1811 Section A du village: 14 Fi 2 / Cadastre 1843 Section A : 14 Fi 4/Commune de Saint Ouen 1870 : 10 Fi 21/ Commune de Saint Ouen 1880 : 10 Fi 25) et un plan actuel pourrait nous permettre de supposer que le chemin de Saint Cloud suivait la trace des rues Labinal/Guendouz
Si la lecture de ce billet peut stimuler la curiosité d'une quelconque personne disposant des compétences et du temps nécessaire pour faire une véritable recherche, j’en serais ravi ô combien ravi. Ceci dit, pour plaider en faveur de mon hypothèse, le bon sens nous amènerait à penser que dans le petit Saint Ouen de l’époque les toponymes évoquant le lointain Saint Cloud ne devaient pas être nombreux.
Au début de cet article je fantasmais la scène d’un tanneur parisien qui aurait mené à la guillotine le citoyen Robespierre en le sauvant, quand il n’était qu’un jeune étudiant arrageois à Paris, des conséquences mortelles inhérentes à la réception en plein crane d’un pot de glaïeuls en chute libre depuis un troisième étage. Faudrait arrêter la bibine ! Ou alors pas du tout, parce que c’est au théâtre que je vous invite les 6 et 7 février.
Et qui dit théâtre dit Molière, et qui dit Molière dit Saint Ouen. Je vous invite donc à y venir... avant que de m’enfoncer d’avantage dans cette démagogie chauvine qui pointe le bout de son nez. Et puis « La solitude du coureur de fond » c’est tout de même du Corneille, voyons.
L’ECTOPLASME